5/2000, David Sanson, Classica
Review (fr)

Les formes d'une ville

On connaît bien en France, où il est régulièrement invité (que ce soit avec Eislermaterial lors du dernier Festival d'Automne de Paris ou dans le cadre de l'exposition Le temps, vite ! du Centre Pompidou), le travail de Heiner Goebbels, pape du théâtre musical allemand (un pléonasme ?). Ce nouveau CD présente des Oeuvres composées à la commande de la Junge Deutsche Philharmonie (qui se montre d'ailleurs ici en tout point digne de l'excellent Ensemble Modem, partenaire habituel du compositeur) pour la célébration du jubilé de la ville de Francfort-sur-le-Main: cinq pièces dont le fil conducteur est le thème de (a ville, et qui sont autant de tentatives "pour s'approcher de la ville de différentes parts, [...] pour traduire quelque chose de sa mécanique et de son architecture en musique..." L'univers urbain est décidément un sujet d'inspiration fécond pour les compositeurs d'aujourd'hui, de Steve Reich à Jean-François Zygel ou Bruno Letort. et Heiner Goebbels, dont la vision n'est pas moins pertinente que celles de ces musiciens, le prouve à nouveau de brillante manière. Dès la Suite pour sampler et orchestre qui ouvre le disque, en effet, on est emporté dans une "navigation" urbaine d'une grande richesse d'inspiration, qui excède heureusement le strict cadre "post-moderne". Si elle prend sa source dans la musique savante (suivant un axe Strawinski-Bartok), la musique de Goebbels semble s'inspirer tout autant de la musique de films, voire d'une énergie presque rock (la Sarabande) pour décrire des paysages contrastés, dans lesquels l'orchestre et le sampler, instrument dans la maîtrise duquel Goebbels est passé maître, fusionnent d'étonnante manière. Les trois chansons sur des textes de Heiner Müller (The Horatian) sorte de réactivation contemporaine des ballades de Brecht et Weill - peut-être la plus belle pièce du disque) se situent à un même niveau d'intensité, de même que D & C pour orchestre, Surrogate et In the Country of Last Things (sur un texte de Paul Auster). Ces "succédanés de villes" révèlent combien la musique de Heiner Goebbels est moins conceptuelle - elle aime s'appuyer sur un riche appareil littéraire (voir le superbe passage d'Edmond jabès en ouverture du livret), visuel ou scénique - qu'éminemment évocatrice : il s'agit bien d'une "musique à programme" au sens le plus noble du terme, qui passe avec brio le test de l'enregistrement.

on: Surrogate Cities (CD)