24 September 2022, Hervé Lévy, Dernières Nouvelles d’Alsace
Review (fr)

Un théâtre d’ombres pour le spectacle musical « Noir sur blanc » au Maillon

Œuvre iconique du théâtre musical signée Heiner Goebbels, Noir sur blanc a rempli le Maillon d’une lumière noire, vendredi soir, dans le cadre du festival Musica.

Une voix ténue. Chuchotée. Les mots sont de Maurice Blanchot. Extraits de L’Attente, l’oubli, ils évoquent la diculté d’écrire. Ainsi débute Noir sur blanc (Schwarz auf Weiss , dans son titre original), écrit en 1996 pour l’Ensemble Modern dont les 18 musiciens envahissent le plateau empli de trois longues rangées de neuf bancs.
Ode au collectif formé par cet orchestre de chambre majeur dans la création contemporaine, l’œuvre permet de juger de la maestria musicale de ses membres, puisqu’ils se métamorphosent en un ensemble de cuivres ou en performers produisant du son des manières les plus diverses. Au début, dans une improbable et géniale chorégraphie les voilà, par exemple, lançant des balles de tennis sur une plaque de tôle pour produire un infernal vacarme.
Une histoire hallucinée de fantômes dans un passé lointain
Mais ne nous y trompons pas, cette composition, comme souvent chez son auteur, est éminemment littéraire puisqu’elle convoque la voix du dramaturge allemand Heiner Müller et les mots d’Edgar Allan Poe, dont Ombre , appartenant aux Nouvelles histoires extraordinaires traduites par Baudelaire, fournit la colonne vertébrale : « Vous qui me lisez, vous êtes encore parmi les vivants, mais moi qui écris, je serai depuis longtemps parti pour la région des ombres. » Silhouettes se dégageant dans le clair-obscur, les instrumentistes donnent vie avec verve à cette histoire hallucinée de fantômes se déroulant dans un passé lointain qu’on imagine antique, « dans une sombre cité appelée Ptolémaïs. » Multiple, la musique de Heiner Goebbels mêle les styles avec dextérité, de la nesse d’un koto (instrument japonais traditionnel à cordes pincées) joué par une tige de métal suspendue à un l à un jazz volcanique, en passant par une invraisemblable Toccata pour piccolo et théière, quelques souvenirs de Bach ou un aérien basson qui ne fait que passer... Incarnant des survivants d’on ne sait quelle catastrophe les musiciens virtuoses s’amusent, presque hystériques, jusqu’à l’apparition de l’Ombre rappelant les spectres des disparus.
Les résonances avec aujourd’hui se font alors troublantes.

on: Schwarz auf Weiss (Music Theatre)