12./13.10.2002, Sylvie Bonier, Tribune de Gèneve
Review (fr)

Heiner Goebbels cultive le mystère dans son jardin sonore

La création mondiale de l'opéra de l'Allemand se déroule dans l'urgence au BFM.

Jamais le terme d'aventure n'aura résonné aussi puissamment au Grand Théâtre. La création mondiale qui s'y prépare, en seulement deux semaines de répétitions, se construit d'instant en instant. A cinq jours de la première, rien n'est encore fixé dans Paysage avec parents éloignés. Spécialiste du «work in progress», Heiner Goebbels assume pleinement cette façon très particulière de travailler et refuse de présenter son oeuvre avant qu'elle n'ait trouvé son équilibre définitif le jour de sa présentation sur scène Il a pourtant accepté d'en livrer quelques clés, un soir de confiance. On présente «Paysage avec parents éloignés» comme un opéra. La définition vous convient-elle? - Je préfère le terme de théâtre musical dans son plein sens plutôt que celui d'opéra proprement dit. L'œuvre se rapproche néanmoins de la forme lyrique par la présence d'un chanteur classique. Il intervient en effet de façon plus soutenue que dans mes ouvrages précédents. Et la construction générale se développe en quatre actes sur un temps relativement long. Mais en soi, je n'aime pas l'opéra, trop «musée» pour moi. L'institution et les conventions sont trop lourdes à manier. Ce n'est pas bon pour la Créativité. Ici, comme toujours, je travaille entre les genres. L'image, e texte, la musique s'interpénètrent et se font écho. Et chacun ne se cantonne pas dans son rôle initial. Les musiciens, par exemple, jouent de plusieurs instruments, deviennent acteurs sur scène. Pourquoi ce titre? - J'ai voulu construire l'œuvre comme Poussin le fait dans ses tableaux. Chaque détail a son importance dans ses paysages. Et au fil de la multitude des petites scènes et des personnages qu'il met en scène, on peut décrypter beaucoup d'aspects de la vie pour déboucher sur une somme importante de réflexions. II n'y a pas d'exclusion dans ce procédé. J'ai souhaité entraîner le spectateur dans une déambulation d'un tableau à l'autre, comme dans une visite d'exposition. Moussorgski s'y était déjà essayé... - D'une façon plus illustrative, moins distante. De mon côté j'essaie, à l'image d'une famille collatérale, de trouver des relations entre les êtres et les événements grâce au recul. La beauté et l'horreur sont étroitement fiées. On ne le constate pas lorsqu'on est trop proche de l'une ou de l'autre. Il faut s'éloigner pour en saisir toutes les résonances intimes. Ne jouez-vous pas un peu sur le mystère? - Certainement. Le mystère m'intéresse, car je n'aime pas travailler sur quelque chose de clair. Moins je définis à l'avance, moins j'en sais, meilleur est le résultat. je réfléchis longtemps en aval, mais au moment des répétitions, je reste toujours dans la recherche. Et je veux pouvoir associer le public à cette aventure même si, quand l'œuvre est portée sur scène, je n'y touche pratiquement plus. Par contre, je tiens à suivre mes réalisations quand elles tournent, pour contrôler si tout correspond bien à ce qui était prévu. Pour moi, une oeuvre doit plus être une expérience qu'un message. Pourtant votre travail est souvent lié à une forme de pensée politique ou philosophique... - Je ne délivre pas de message politique au sens étroit du terme. je n'ai simplement pas voulu exclure les événements de l'actualité, reliés, qu'on le veuille ou non, au passé, à l'histoire. Vous pensez au 11 septembre? -J'étais aux Etats-Unis à cette époque. Cela m'a évidemment marqué. Mais c'est un événement qui, s'il s'est profondément imprimé en moi, ne ressort pas explicitement dans Paysage... J'utilise des textes de T. S. Eliot, Henri« Michaux, Gertrude Stein, Michel Foucault notamment mais à la façon de balanciers. »S'ils représentent une sorte de polémique, c'est surtout pour attiser le questionnement ou toucher l'émotion. je n'ai pas l'âme d'un provocateur ou d'un dénonciateur.« »Paysage...« serait conçu comme une sorte de puzzle? - C'est ça. Cette comparaison me plait. D'abord, parce que c'est un jeu. Ensuite, d'un côté on travaille sur le contenu d'une image, puis le revers propose des formes pures à emboîter, J'apprécie que le spectateur joue lui aussi avec ces éléments divers. J'en ai besoin, je ne peux rien faire sans l'appropriation de la pièce par le public. Vous soumettez les artistes à une forme d'épreuve. Est-ce volontairement? - On se connaît tous depuis très longtemps. L'intimité permet d'avancer plus sûrement sur ce terrain mouvant. je travaille en fonction de leurs capacités, de leur personnalité propre. Ils s'adaptent à cette façon évolutive de faire et jouent le jeu avec beaucoup de conviction. Le temps imparti est évidemment trop court. Le double aurait été préférable pour tout le monde, mais les maisons d'opéra ont un budget qui n'est pas extensible. (Sylvie Bonier)

on: Landschaft mit entfernten Verwandten (Music Theatre)